mercredi 6 mai 2009

L’instant précieux du début

Au café, sur ma gauche, dans l’angle gauche de ma vision, un couple prend l’apéritif. Une femme, un homme. Ils pourraient aussi bien ne rien boire. La boisson qu’ils portent à leurs lèvres n’est qu’un prétexte pour se trouver face à face, ailleurs que dans la rue. Elle, jeune, très belle, élégante, élancée, vêtue d’une robe légère, courte, laissant voir de longues jambes déjà bronzées. Ses yeux sont très clairs, bleus je crois, elle sourit. Elle sourit comme on le fait en présence de quelqu’un qu’on connaît à peine et qui vous intimide un peu. Lui, moins jeune, moins beau, déjà atteint par l’usure que la vie plaque sur les visages, sourit du même sourire, le sourire de l’émerveillement étonné.

Plusieurs fois, par dessus la table, ils s’embrassent. Ils semblent le faire dans le secret. Je devine qu’ils forment un couple tout neuf, un balbutiement de couple. Un embrasement. Ils s’observent, se parlent peu, se caressent les mains. On dirait qu’ils se cachent un peu. Ils sont hors de la vie, à cet instant, ou plutôt ils sont au cœur de la vraie vie, celle qui palpite, mais ils sont loin de la vie d’ici, des habitudes, du bruit, des conversations, des conventions. La chaleur ne semble pas les accabler. Ils sont dans un désert où il n’y a qu’eux. Un désert de neige, un désert blanc sur lequel souffle un vent nouveau, une fraîcheur.

Je me demande, ont-ils déjà fait l’amour ? Vont-ils le faire, bientôt, tout à l’heure ? Je ne sais pas. Je ne saurai jamais. Mais je devine en eux un désir puissant, leurs corps, leur peau, transpirent ce désir, ils en suffoquent un peu, ils osent à peine se parler, de peur peut-être de briser le fil qui les relie.

A cet instant, je sens qu’il est dans le sursaut de la vie qui s’enfuit, je sens qu’il cherche à s’enfuir du temps qui s’applique à le buriner, à le marteler ride après ride.

Aujourd’hui, cet aujourd’hui avec elle est tout, est toute la vie compressée dans une journée, toute la vie qui s’enflamme en quelques heures. En quelques minutes peut-être. Demain ne sera rien. C’est aujourd’hui que tout se joue, c’est aujourd’hui, dans le regard aimant et désirant de la jeune femme, que toute la vie s’illumine. Il n’y aura pas de lendemain, pas de lendemain aussi beau, aussi pur. Je la lis sur leur visage, la précarité. Seul compte aujourd’hui. La fusion. La confusion des sens et des sentiments.

Je sais que là, maintenant, il l’aime plus que sa vie, puisque toute sa vie est là, enfermée et libérée dans l’instant précieux, non renouvelable.

L’instant précieux du début.

Extrait de "C'est ici le paradis", un de mes romans non publiés

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