mardi 27 avril 2010

Les mots du néant

Fadela Amara, secrétaire d’état à la politique de la ville, a tenu, le 23 avril dernier sur France Inter, des propos très durs envers les femmes qui portent la burqa : « Vous ne verrez jamais ces femmes devenir pilote d’avion, ni institutrice, ni médecin, ni rien… ».

Peut-être, effectivement, est-il difficile d’envisager d’embrasser ce genre de profession lorsqu’on porte une burqa. Soit. Mais il s’agit quand même d’un raccourci intellectuel facile. Ainsi je ne vois pas en quoi le fait de porter une burqa serait un obstacle aux métiers (pour rester dans les professions un peu chics…) d’écrivain, de peintre, de compositeur, d’auteur dramatique, etc.

En réalité, ce qui me gène le plus dans cette phrase de Fadela Amara, et qui m’horrifie, c’est la fin : «… ni rien… ». A l’heure où les éléments de langage ont une importance croissante et où les mots prononcés par les politiques sont donc très choisis, j’estime que cette phrase est réellement effrayante. Elle signifie que le fait de porter une burqa anéantit la personne humaine (puisqu’elle ne peut être autre chose que « rien »), enlève à la femme son humanité et annihile l’univers qu’elle porte en elle, ses sentiments, ses rêves…

Elle signifie également qu’on ne peut définir un individu que par son métier. « Tu n’as pas de métier, donc tu n’es rien ! » Merci madame le ministre d’avoir été aussi claire. Les sans-travail savent désormais à quoi s’en tenir : à vos yeux, ils ne sont rien.

vendredi 23 avril 2010

Lucidité

Englués dans nos conventions, moulés dans nos étroitesses d’esprit, modelés par nos réflexes conditionnés, nous peinons à comprendre que l’essentiel de la vie réside dans des choses aussi simples et vivifiantes que l’amour, la musique, la littérature, la poésie, les sourires prodigués, les échanges d’émotions, la liberté… La primordialité du travail et de l’argent, imposés comme socle social, avec leur cortège de règles non consenties, de morale débilitante forgée sur la foi non moins déprimante en la loi du marché, tout cela ne fait que nous dévier de ce qui pourrait prédominer dans nos vies pour les rendre exaltantes. La majeure partie de nos activités n’est en réalité qu’une désolante perte de temps qui nous ravit notre droit à vivre, à aimer, à réfléchir, à nous extasier et à jouir des heures qui nous sont inexorablement comptées. Certains sont nés avec suffisamment de vent dans la tête pour être en mesure d’inventer leur vie conformément à leurs rêves. D’autres mettent des années pour parvenir à la lucidité. Mais nombreux sont ceux qui ne l’entreverront même jamais. Ceux-là, dont les pâles désirs sont déjà, dès leur jeunesse, ceux qu’ils nourriront vieillards, ressemblent au désastre de leur existence.

lundi 19 avril 2010

Arthur Rimbaud : la photo retrouvée

Est-ce vraiment lui ? Est-ce un faux ? L’apparition récente de cette photographie inédite d’Arthur Rimbaud m’a tout naturellement amené à me souvenir d’un de mes romans non publiés, « Lignes de fuite », dans lequel je fais survivre le poète. En voici quelques lignes :

« Les paradoxes, dans nos existences, sont omniprésents. Nous cherchons sans trêve l’équilibre et, pour cela, nous tentons l’éternelle fusion avec d’autres âmes. Nous nous obstinons à faire cela, des vies entières.

Pourtant, de frôlements de peau en hasardeuses connexions de sentiments, nous dérivons vers d’étranges nébuleuses, d’improbables constellations où nous nous vaporisons. Nous nous parcellisons, nous nous pixélisons, alors que nous voudrions que soit tangible ce qui ne peut être qu’immatériel.

Nous nous croisons, nous nous enlaçons, nous nous esquivons, nous nous ignorons, nous nous oublions. Parfois, dévoilant nos cicatrices intimes, nous confessons de furtives passions. Etreindre un corps, l’enchaîner à nos désirs, vouloir d’un amour qu’il soit inusable, toujours en éruption, faire des apparences une vérité où se tisseraient à jamais les lettres du mot « ensemble » : nous faisons cela pour échapper à la profondeur obsédante de nos solitudes. Pour échapper à la béance de notre futur.

Nous sommes tragiques, pitoyables, fragiles, nos caresses font jaillir des fluides de nos sexes et des halètements de nos bouches. Nous nous imaginons modernes, tout en chromes et cuirs rutilants, mais nos rencontres successives ne sont que la variation inconsciente de ce qui nous naufrage tout entier : la peur de disparaître, un jour, en feignant de croire à l’inexorabilité de ce point final qui nous attend et hante chacun de nos gestes, chacune de nos pensées. Chacun de nos mots d’amour. »
Extrait de "Lignes de fuite", un de mes romans non publiés.

jeudi 1 avril 2010

Jack London, le Vagabond magnifique (Yves Simon)

Jack London meurt à quarante ans, en 1916, d'une overdose de morphine, après une existence débordante d'action. De passion, aussi. Suicide ? Accident ? Yves Simon, qui a publié chez Mengès, en octobre dernier, une biographie de l’écrivain américain, « Jack London, le vagabond magnifique », semble opter pour la première assertion. « L’âge n’y est pour rien, la maladie n’y est pour rien. Il y a une fatigue de soi et c’est tout. Une fatigue de tout, de la gloire, des hommes, des femmes…. »

De treize à vingt-deux ans, Jack London, grand dévoreur de livres et gros buveur, se plongera, corps et âme, dans une période qu’Yves Simon décrit comme initiatique. Dix années de galères lors desquelles il vivra les expériences qui composeront le terreau de son œuvre future : alcoolique, voyou, pirate, voleur d’huitres, marin, ouvrier, clochard, étudiant, chercheur d'or en Alaska… Yves Simon s’attache à montrer que toutes ces aventures, parfois extrêmes, vont forger l'écrivain et le militant socialiste que l’on connait, qui a vécu au plus profond de ses tripes la genèse d'un ultralibéralisme sans humanité, aux antipodes de l’image du rêve américain. Car l’auteur de « L'Appel de la forêt » et de « Croc-Blanc » a également écrit des romans marxistes comme « Le Talon d'acier » et « Martin Eden ». Jack London est un personnage complexe, plein d’emportements et de tendresse, qui a écrit une œuvre considérable et foisonnante, et qui a voulu vivre intensément, au-delà de ses forces.

Le Vagabond magnifique est un très beau livre, bien documenté, joliment illustré, avec de superbes photographies. Un ouvrage indispensable pour ceux qui aiment Jack London.

« Jack London, le Vagabond magnifique », d’Yves Simon (Editions Mengés)