lundi 29 juin 2009

Jean-Christophe Gérard, créateur d’atmosphères

" Un type qui écrit est difficile à supporter. Un type qui ne parvient pas à écrire est invivable. Je laissais toujours le volume du téléphone réglé au minimum. J'en faisais une affaire de principe. Une dérisoire compensation que je me sentais tenu d'offrir à ma femme et à ma fille : j'étais invivable, mais au moins avais-je l'élégance d'être le moins bruyant possible … ".

De l’élégance, comme Jean-Marc Parisis cité plus bas, Jean-Christophe Gérard n’en manque pas. Mais cette élégance, au contraire de son personnage Fabien Gabryel, ne résulte pas de son silence mais bien des mots, assemblés avec un soin particulièrement minutieux, tout au long de son roman " Le Bûcher de la salamandre ". In fine, si l’histoire et l’intrigue ont bien évidemment leur importance, on s’aperçoit qu’on s’est laissé littéralement emporter, au fil des phrases et des chapitres, dans une ambiance que ne renieraient pas un Raymond Carver ou un Frédric Brown. Car Jean-Christophe Gérard a réussi, sans le vouloir m’a-t-il assuré, à écrire un roman à l’Américaine (bien que l’action se déroule à Lille et dans ses environs) sans sombrer dans les encriers larges comme des coffres-forts dans lesquels Marc Levy et Guillaume Musso plongent leur grosse plume sans poésie. Jean-Christophe Gérard est donc une sorte de Monsieur Jourdain moderne, qui fait de l’excellente prose façon " atmosphère américaine " sans le savoir… L’atmosphère en question, on y est baigné dès les premières lignes et, croyez-moi, on ne s’en extrait pas si facilement. Le Bûcher de la salamandre est un roman à l’humour désenchanté, bien sombre comme il faut, avec des personnages rugueux et visités par leur auteur jusqu’au plus profond de leur âme passablement tordue. A lire lentement, à siroter comme un vieil alcool, un Havane aux lèvres, au fond d’un vieux fauteuil au cuir usé. Prévoir plusieurs heures car, avec ce genre de livre, on apprend l’art du dosage : vous aurez, très tôt dans le roman, vraiment envie d’en savoir plus tout en voulant économiser votre lecture, histoire ne pas arriver trop rapidement au mot " fin ". Après, vous vous lèverez de votre fauteuil, vous irez vous chercher une bière bien glacée dans le réfrigérateur. Vous la boirez par petites rasades, en observant la rue par la fenêtre, les yeux vaguement plissés pour filtrer la lumière un peu trop crue. Et vous vous direz, pour vous-même : " mince, c’est déjà fini… Vivement qu’il sorte un autre bouquin, Jean-Christophe Gérard… ". Il paraît qu’il en prépare un autre, justement. Ca tombe plutôt bien. Il suffit d’attendre. Pour patienter, vous pouvez toujours relire " Le Bûcher de la salamandre "…

Le Bûcher de la salamandre – Jean-Christophe Gérard - Editions Ravet-Anceau.

Physique, de Jean-Marc Parisis

Jean-Marc Parisis est un écrivain qui a de l’élégance. Son style est sec et douloureux, sans complaisance. " Physique ", qui aurait pu s’appeler " L’existence à rebrousse temps ", trace l’histoire d’un avocat quadragénaire, aisé et reconnu, propriétaire d’un 200 m2 place du Trocadéro à Paris, qui n’a pourtant pas toujours eu la vie facile. A 7 ans, il perd ses parents et finit d’être élevé dans un orphelinat. Résolument tourné vers l’avenir, cependant, il travaille et travaille encore. Ses études le mènent à une brillante carrière, une revanche sur la vie. Entre temps, il est foudroyé d’amour pour Catherine, qu’il épouse. Un matin, alors que son couple bat de l’aile, qu’il est devenu un " bourgeois " cynique et désabusé et qu’il vient de violer une amie de sa fille, il se réveille dans un corps rajeuni de 15 ans. A partir de ce jour, le moment d’euphorie passé, tout va devenir compliqué pour ce Dorian Gray revisité. " Physique " est le roman d’une déliquescence morale juxtaposée à une régénération physique. Un paradoxe haletant qu’on dévore jusqu’à la dernière lettre.

Physique - Jean-Marc Parisis. - Editions Stock

jeudi 18 juin 2009

Jive : de Ray Charles à Jimi Hendrix

Jive, c’est le groupe fondé en 2004 par Thierry Daniaux : au chant, Mara ; à la guitare, François ; au saxophone, Yves-Vincent ; à la basse, Éric. Thierry est le batteur. Les musiciens de Jive ont une passion pour la musique afro-américaine et des artistes apparemment aussi éloignés que Ray Charles, Kenny Burrell, James Brown, John Scofield, Joshua Redman... ou Jimi Hendrix. Jive fait des reprises de ces nombreux artistes : des interprétations nouvelles ou parfois fidèles, mais toujours dominées par le désir de partager cette musique en la faisant vivre. Mais vous aurez du mal à vous faire une idée de son style sans l’écouter. Le groupe se produit deux fois par mois : jivé ? jivépa ? N’hésitez pas, vous en prendrez plein les oreilles ! Pour tout renseignement sur le calendrier des prestations, rendez vous sur http://jivegroup.free.fr/.

Jive : en argot, ce terme signifiait à l’origine " tromperie " ou " duperie ", comme dans une chanson de Louis Armstrong, " Don’t Jive Me ", de 1928. Après s’être longtemps appliqué à un style de jazz et à une danse particulière, ce mot, utilisé par les DJ des radios américaines, a servi à décrire l’argot des musiciens de jazz, qui recouraient à un langage codé (jive talking) pour dissimuler des pratiques illégales liées à leurs habitudes d’héroïnomanes.

jeudi 11 juin 2009

Christian Bobin, l’âme entrebaîllée

Une Bibliothèque de nuages
"Décembre. Il fait froid et sec. J'entends les morts qui se rapprochent de nous, j'entends les os des feuilles mortes craquer sous leurs pieds de lumière. L'hiver fait le travail des grands maîtres : il simplifie."


Christian Bobin délivre, dans une bibliothèque de nuages, ses méditations sur le temps, le rêve et l’absence. La traversée éthérée d’un automne, d’un hiver et d’un printemps. Les cinéastes mettent en scène, les peintres mettent en couleurs, les écrivains mettent en mots. Christian Bobin fait plus que cela : il met en lumière. Il décèle, dans les interstices sombres ou anodins du monde, la moindre lueur capable de nous éclairer d’un dernier espoir. Ses mots sont polis, c’est-à-dire décrassés de l’encre sombre dont ils semblent pourtant constitués. Ils sont luisants, aussi, comme si une fine pellicule d’eau les recouvrait, les rendant plus limpides encore à notre compréhension : "Chaque fois que je m'éloigne d'une page fraîchement écrite, je découvre à mon retour ce qui a fané sur les rameaux de papier, recroquevillé d'inutile. Le temps qui passe est un ami précieux qui nous dépouille du superflu."

Une Bibliothèque de nuages – Christian Bobin – Éditions Lettres vives
La Dame blanche

Décrire une âme, la dessiner par les mots, la faire surgir, blanche et éblouissante dans l’encre sombre sur le papier… Écrivain ermite et magicien du verbe, Christian Bobin brosse, avec le pinceau touchant et imagé qu’il a su façonner au fil de ses nombreuses années d’écriture, le portrait d’Émily Dickinson, poétesse américaine du 19e siècle. Un livre curieux à mi-chemin entre biographie et roman, rédigé dans un style aérien et lumineux pour retracer en touches légères l’existence d’une recluse qu’on aurait pu imaginer obscure. Obscure, il n’en et rien : on s’aperçoit que la dame blanche d’Amherst a passé sa vie à dévisager les anges, loin du bruit du monde, avec pour seul écart au silence la musique de son piano dont elle effleurait les touches. Lorsqu’elle est décédée en 1886, à l’âge de 56 ans, Émily, la gardienne des vies évanouies, n’avait plus vu un visage inconnu depuis 25 ans. Mais elle a laissé dans ses tiroirs sa profonde empreinte d’amour du monde et des êtres qui le peuplent, deux mille poèmes d’une inouïe beauté : " l'âme doit toujours être entrebaîllée ", écrivait-elle.

La Dame blanche – Christian Bobin – Éditions Gallimard

Yves Simon, les rumeurs d’un artiste éprouvé

Épreuve d’artiste
A noir, E blanc, I rouge… Rimbaud et ses voyelles nous ont emportés, adolescents, vers une certaine idée retrouvée de l’éternité. Yves Simon nous propose, en plus des voyelles, les consonnes poétisées de l’alphabet, sous la forme d’un dictionnaire intime, " Épreuve d’artiste ", paru chez Calmann-Lévy. Sur la base de plus de 250 mots choisis, il nous déroule " la liste des choses qui font battre son cœur ". Des choses, des lieux, des œuvres, des gens aussi, comme l’actrice Juliet Berto, le chanteur Georges Brassens, l’écrivain Marguerite Duras, le multiforme Serge Gainsbourg… Des mots qui ont ponctué sa vie en l’escortant sur des sentiers où tout se mêle : musique, littérature, amitié et amour.

Rumeurs

Le dernier album d’Yves Simon, Rumeurs… Des guitares dépouillées, une voix fragile au timbre immuable, pour revenir au folk mélancolique de ses débuts. 13 titres superbement produits par l’ex-Valentin Jean-Louis Piérot, qui font la part belle à l’intime et permettent d’apprécier la portée de l’influence d’Yves Simon sur la nouvelle scène française.


" Épreuve d’artiste " et " Rumeurs " sont les derniers exercices d’un enfant de 64 ans, témoin talentueux du mystère d’entre les gens, des liens invisibles qui les unissent.

Dry out, à consommer sans modération

Le dernier album de Dry Out, " Noisemeter", est sorti chez Chabane’s records. En 3 années d’existence, une quarantaine de concerts nationaux et un CD 4 titres " Stage on fire " sorti chez Chabane’s records, Dry Out a réussi à s’installer sur la scène rock lilloise. Son style ? Difficile à définir... Il provient de la rencontre improbable entre Cédric (un fan de cold wave et de rock expérimental), Goulwen (un amateur de punk US), Ben (un fou de fusion) et Colas (un métalleux). Le groupe, qui allie puissance, énergie et mélodie pour un son qui lui est propre, distille un mélange détonnant de punk 70’s et de grunge 90’s. Loin des mauvaises copies de groupes connus ou du son formaté par les majors, Dry Out, c’est du rock brut et pêchu qui prend vie sur scène. Si vous souhaitez guetter la sortie du CD ou tout simplement découvrir cet univers rock’n roll à souhait, rendez-vous sur le site internet du groupe : vous y trouverez la bio, les prochaines dates de concerts, quelques extraits, des photos,... bref tout ce qu’il vous faut savoir avant de venir les voir/écouter sur scène.

Cat Power, à écouter et à rêver

Ecouter les chansons de Cat Power permet de s’esquiver de la vie dans un presque silence. Il n’y a rien autour des notes. Au creux de la voix glisse un murmure, loin des mots, loin de toute compréhension. Un murmure dans lequel on entend ce qu’on veut y entendre, la rumeur des souvenirs. Un murmure qui peut parler de visages perdus. Rien ne tourmente chez Cat Power, tout apaise. Le piano, la guitare égrènent les notes. La voix racle les pensées, en douceur. Une tristesse, pourtant, se dégage. C’est peut-être notre propre mélancolie qui s’enfuit ainsi, emportée par fragments délicatement détachés. Cat Power, alias Chan Marshall, est une chanteuse et parolière américaine, complexe et insaisissable. Sa carrière est jalonnée de petites merveilles à écouter et à rêver, comme les impressionnants albums " Covers record " et " You are free ". Sans oublier " The greatest ", sorti en 2006. Un écrin pour des chansons comme des joyaux.


Discographie
Dear Sir (1995, Plain Records) - Myra Lee (1996, Smells Like Records) - What Would The Community Think (1996, Matador Records) - Moon Pix (1998, Matador Records) - The Covers Record (2000, Matador Records) - You Are Free (2003, Matador Records) - The Greatest (2006, Matador records)

Raymond Carver, parlez-nous donc d'amour

Chez Raymond Carver, les tranches de vie ont un goût amer, celui du malheur. Le nouvelliste décrit des mondes qui partent en morceaux, des gens à la dérive, l’ennui, l’alcool, les existences ordinaires de petits Américains normaux et pourtant paumés, pour qui tout se dérobe : la vie, l’amour et surtout les rêves. " Les choses changent ", écrivait Carver, " je ne sais pas comment ni pourquoi mais elles changent sans que l’on s’en rende compte ni qu’on le désire ". Toujours vers le pire, c’est pour lui évident. Un univers de désespérance, un regard oblique sur la vie, à découvrir ou à redécouvrir.

" Parlez-moi d’amour ", en livre de poche, collection Biblio. 17 nouvelles déglinguées, comme l’homme, décédé en 1998 avant d’avoir atteint 50 ans.