jeudi 14 mai 2009

A la fenêtre

Nikos m’écrit souvent. Des mails d’amour, de réconfort. Ce soir, j’ai reçu celui-ci :

" Ce midi, tu étais là, près de moi, avec tes rêves un peu brisés. Moi j’étais silencieux, presque, incapable de prononcer les mots justes pour t’aider à les réparer. Peut-être qu’ils n’existent pas à portée de lèvres, ces mots, peut-être sourdent-ils seulement au plus profond de toi. Moi je sais qu’un jour tu les découvriras et qu’ils scintilleront pour éclairer ta route. Moi je sais qu’un jour tu iras là où je n’irai jamais.

Ce midi, tu étais là, près de moi, émouvante de cette beauté tourmentée que l’on ne rencontre que rarement : la beauté fraîche du visage et du regard, en harmonie avec celle de l’âme, tellement authentique qu’elle en est palpable. Je ne te l’ai jamais dit, mais il y a en toi quelque chose d’indescriptible qui éblouit. Peut-être est-ce simplement ta façon d’exister, d’exister vraiment, d’exister plus que d’autres. Peut-être cela tient-il à ta façon d’imprimer, avec élégance, ta présence dans tous les lieux où tu passes.

Ce midi, tu étais là, près de moi, et j’étais bien. Et des filaments de tes sourires restent accrochés à mes doigts. "

La proximité de Nikos me rend heureuse. Tout simplement heureuse. Je m’approche de sa chair, de l’attrait de sa chair et je m’émeus de ses arômes, des parfums qui ondoient à la banlieue de sa peau. C’est comme un lancinant vertige déclenché par la fascination qu’il exerce sur moi, par cet invisible charme fait de ses silences et des vibrations de son corps.

A chacun de mes départs, je me sens accablée, démunie. Il me reste alors les débris de son éclat. Il me reste la cendre lumineuse des instants passés, puisque c’est cela qui constitue l’essence des souvenirs, ces particules évanescentes qui scintillent dans la mémoire.

A chacune de nos retrouvailles, je me sens à nouveau contaminée par ses doux et chauds effluves. Chaque fois un peu plus. Je surgis dans sa chambre et, à nouveau je me retrouve engoncée dans sa rassurante présence. Nous nous effleurons, nous nous respirons, nous associons nos atomes de surface et je sais que quelques heures plus tard ne demeureront que les réminiscences de cette sensation. Une approximation.

Chaque jour nous nous retrouvons, chaque jour nous nous séparons. Et chaque jour je fais l’amer constat que le bonheur n’est pas une chose continue ni acquise. Il flâne simplement dans nos vies, comme ces péniches qui passent dans les eaux du canal et l’instant d’après disparaissent de notre vue.

Nikos était tout à l’heure d’une extravagante beauté dans la lumière qui ressemblait à celle de l’automne, noire splendeur, manteau long et écharpe en laine pour affronter une fraîcheur incongrue en cette saison, regard azur pour illuminer toute cette obscurité qui le parait. Il était très exactement comme j’aime qu’il soit, lumineux, avec son sourire comme un bijou sur ses lèvres pour offrir l’apparence de la gaieté. Nous marchions lentement dans les rues, nous parlions un peu. Quelques mots, l’évocation d’un ancien séjour parisien, le Grand palais, l’île de la Cité… Il m’a offert un instant de bonheur.

Je l’ai imaginé marchant dans la lumière des réverbères sur l’enrobé des rues et des avenues. Fugacement, il faut l’avouer, j’ai envié ce passé où je n’étais pas et me suis vue à ses côtés, silhouette frêle qui l’aurait accompagné, traquant le moindre des mots qu’il aurait prononcés, pour m’en délecter. Le cœur se retourne, parfois, comme un gant, et je me suis alors souvenu que, lorsqu’il était sorti de ma vie, il m’arrivait d’avoir du mal à m’en persuader. Et chaque retour à la raison était comme une gifle qui me réveillait, douloureuse. Et nous nous sommes retrouvés. Mais pour combien de temps ?

Le cœur, parfois, est un lieu de transit où passent des visages. Son visage à lui, comme un rêve, je me le suis accaparé, pour toujours, avec les étoiles qui scintillent dans ses yeux. A-t-on le droit de rêver, de simplement rêver à des lendemains où l’on ne sera peut-être pas ? On passe, par-ci, par-là, les itinéraires se croisent puis s’éloignent. Bientôt, il partira peut-être vers d’autres trottoirs mouillés, seul, dans une autre ville où pourraient s’engendrer de nouvelles envies de romans, des désirs d’histoires folles à inventer. Mais où je ne serai plus. Alors je me dirai qu’il aura été un passant qui sera passé, qui se sera attardé un moment dans l’aérogare de mon cœur. Qu’il aura été un sublime présent, une aurore boréale, une douceur impromptue dont je me souviendrai jusqu’à mon dernier souffle.

Ce matin, j’ai ouvert les yeux sur une lumière qui m’a éclairée jusqu’aux os. Celle d’un soleil de fin d’été, qui rasait l’horizon, belle et inattendue comme un retour de vague. La journée a commencé comme cela, dans une gaieté inexplicable autrement que par cette lumière qui envahissait la chambre.

Je me suis levée, je suis allée à la fenêtre. Une péniche passait, languide, elle avançait sur l’eau dans un silence apaisant. Et moi je la regardais glisser en me demandant où l’emmenait son voyage. En me demandant vers quelles ténèbres m’emporterait le temps aujourd’hui.

Extrait de "Lignes de fuite", un de mes romans non publiés

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