vendredi 13 novembre 2009

Portrait en noir et blanc d’Angéla Küber

Parfois, je sors du placard les boîtes en carton où j’ai rangé mes photos, ces ersatz figés et glacés de ma mémoire défaillante. En observant les sourires, les silhouettes et les regards du passé, j’essaie de faire réapparaître dans mon cerveau les voix et les rires. C’est difficile. Souvent, je n’y parviens pas. Les visages en deux dimensions, immobiles, restent muets.


Ce soir, comme chaque fois que je visite mes boîtes à photos, je reviens sur ce portrait en noir et blanc d’Angéla Küber. Elle avait trente ans, sur le cliché. Ses yeux et ses cheveux très noirs contrastaient avec la douceur de ses traits. Jamais, depuis, je n’ai rencontré un tel visage, aussi beau qu’étrange, teinté à la fois de joie et de mélancolie.

Elle avait écrit, au dos de la photographie, ces quelques mots : " j’aime en toi ta part d’ombre, ton mystère ". Mais c’est bien elle qui fut un mystère. Et qui le demeure, encore aujourd’hui. Moi, je ne crois pas avoir jamais été mystérieux. Taciturne, peut-être, discret, fermé sur moi-même, peu enclin aux confidences.

Angéla Küber fut une bouleversante énigme, un météore dans ma vie. Les quelques mois que nous avons partagés, l’année de mes trente ans, ont suffi à m’irradier en profondeur. C’était il y a pas mal de temps, vingt ans.

En mai dernier, si elle est encore de ce monde, elle a eu cinquante ans, comme moi. Ça me fait un drôle d’effet de l’imaginer en femme mure. Quand je pense à elle et à ce que nous avons partagé, je m’interroge sur sa vie et je me demande si elle a beaucoup changé. Je ne sais pas si elle pense encore à moi, parfois. C’est si loin. Mais je ne pense pas avoir marqué sa vie comme elle a ébranlé la mienne. Je me plais pourtant à supposer que, parcimonieusement, elle fait resurgir, du gouffre obscur du passé, mon image brouillée par le temps.

Certains soirs, je l’imagine vivant dans cette ville où elle m’avait dit qu’un jour elle irait rejoindre son frère, Houston, au Texas. Au bout du monde. Mais était-ce vrai, avait-elle vraiment eu un frère exilé en Amérique ? Si elle s’y est rendue, peut-être a-t-elle quitté les États-Unis, depuis, peut-être est-elle quelque part en Europe, en France, même. C’est une possibilité. Après tout, sa mère était française. Elle m’avait dit qu’elle vivait à Paris, qu’elle tenait une librairie, rue Lepic. Mais je n’ai jamais retrouvé ce magasin.

Je ne sais pas si Angéla Küber vit encore. Elle a disparu sans laisser de traces un jour de décembre 1987. Elle s’est volatilisée.

Extrait de "D'où vient Angela Küber" - Editions Ravet-Anceau

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1 commentaire:

  1. Un livre joliment écrit, une histoire intéressante que j'ai dévoré dans le train. Une belle histoire d'amour qui persiste et existe à travers l'espace temporel. Vraiment un scénario très bien maîtrisé. J'ai adoré ce livre

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