vendredi 29 mai 2009

Once

Film irlandais de John Carney, sorti sur les écrans en mars 2007, " Once " raconte la rencontre de deux paumés dans les rues de Dublin. Ils vont vivre une émouvante histoire d’amitié sertie au creux de leur passion commune, la musique. Amitié amoureuse ou amour asexué ? Difficile à dire… Les sentiments se télescopent et se mélangent au rythme des chansons, superbes. La jeune femme, pianiste, interprétée par Markéta Irglova, est mariée à un homme qui est resté en République tchèque à cause d’un problème de visa. Pour vivre, elle vend des roses. L’homme, réparateur d’aspirateurs, mais aussi guitariste et chanteur des rues, interprété par Glen Hansard (le leader du groupe irlandais The Frames), sort d'une douloureuse rupture amoureuse… John Carney, le réalisateur, est avant tout un musicien. Il a fait le pari de mettre en scène des musiciens qui savent jouer la comédie et non des acteurs qui savent chanter. Il a également osé faire un film axé sur la musique, dont le scénario tient sur un timbre-poste. Un double pari néanmoins réussi, car au final, le film est réellement magique. A voir et à écouter sans modération, les mélodies et les personnages ne vous quitteront plus.

La musique du film Once, composée par les deux protagonistes, a obtenu l’oscar 2008 de la meilleure chanson. Le film existe en DVD, la bande originale en CD.

N’aimer personne, de Brigitte Niquet

Peut-on aimer quand on n’a pas refermé les plaies vives de son passé intime, celui de l’enfance ? Et surtout, peut-on guérir de ses lointaines souffrances, sédimentées dans un coin du cerveau ? Dans « N’aimer personne », quatre itinéraires s’enchevêtrent et se combinent, de l’enfance à l’âge adulte. Quatre destins dévastés par la disparition d’un père, par l’amnésie d’une mère envers sa fille, par d’impitoyables rapports familiaux. Quatre personnages féminins que Brigitte Niquet dépeint sans fioritures, dans un style coloré. Les mots de la narratrice sont en effet ceux de tous les jours, des mots cruels pour témoigner de la violence ordinaire de la vie. Brigitte Niquet est Lilloise, elle a été mon professeur de lettres. « N’aimer personne » a reçu le prix du Furet du Nord 2004.

N’aimer personne, de Brigitte Niquet – Éditions Ravenala

jeudi 14 mai 2009

A la fenêtre

Nikos m’écrit souvent. Des mails d’amour, de réconfort. Ce soir, j’ai reçu celui-ci :

" Ce midi, tu étais là, près de moi, avec tes rêves un peu brisés. Moi j’étais silencieux, presque, incapable de prononcer les mots justes pour t’aider à les réparer. Peut-être qu’ils n’existent pas à portée de lèvres, ces mots, peut-être sourdent-ils seulement au plus profond de toi. Moi je sais qu’un jour tu les découvriras et qu’ils scintilleront pour éclairer ta route. Moi je sais qu’un jour tu iras là où je n’irai jamais.

Ce midi, tu étais là, près de moi, émouvante de cette beauté tourmentée que l’on ne rencontre que rarement : la beauté fraîche du visage et du regard, en harmonie avec celle de l’âme, tellement authentique qu’elle en est palpable. Je ne te l’ai jamais dit, mais il y a en toi quelque chose d’indescriptible qui éblouit. Peut-être est-ce simplement ta façon d’exister, d’exister vraiment, d’exister plus que d’autres. Peut-être cela tient-il à ta façon d’imprimer, avec élégance, ta présence dans tous les lieux où tu passes.

Ce midi, tu étais là, près de moi, et j’étais bien. Et des filaments de tes sourires restent accrochés à mes doigts. "

La proximité de Nikos me rend heureuse. Tout simplement heureuse. Je m’approche de sa chair, de l’attrait de sa chair et je m’émeus de ses arômes, des parfums qui ondoient à la banlieue de sa peau. C’est comme un lancinant vertige déclenché par la fascination qu’il exerce sur moi, par cet invisible charme fait de ses silences et des vibrations de son corps.

A chacun de mes départs, je me sens accablée, démunie. Il me reste alors les débris de son éclat. Il me reste la cendre lumineuse des instants passés, puisque c’est cela qui constitue l’essence des souvenirs, ces particules évanescentes qui scintillent dans la mémoire.

A chacune de nos retrouvailles, je me sens à nouveau contaminée par ses doux et chauds effluves. Chaque fois un peu plus. Je surgis dans sa chambre et, à nouveau je me retrouve engoncée dans sa rassurante présence. Nous nous effleurons, nous nous respirons, nous associons nos atomes de surface et je sais que quelques heures plus tard ne demeureront que les réminiscences de cette sensation. Une approximation.

Chaque jour nous nous retrouvons, chaque jour nous nous séparons. Et chaque jour je fais l’amer constat que le bonheur n’est pas une chose continue ni acquise. Il flâne simplement dans nos vies, comme ces péniches qui passent dans les eaux du canal et l’instant d’après disparaissent de notre vue.

Nikos était tout à l’heure d’une extravagante beauté dans la lumière qui ressemblait à celle de l’automne, noire splendeur, manteau long et écharpe en laine pour affronter une fraîcheur incongrue en cette saison, regard azur pour illuminer toute cette obscurité qui le parait. Il était très exactement comme j’aime qu’il soit, lumineux, avec son sourire comme un bijou sur ses lèvres pour offrir l’apparence de la gaieté. Nous marchions lentement dans les rues, nous parlions un peu. Quelques mots, l’évocation d’un ancien séjour parisien, le Grand palais, l’île de la Cité… Il m’a offert un instant de bonheur.

Je l’ai imaginé marchant dans la lumière des réverbères sur l’enrobé des rues et des avenues. Fugacement, il faut l’avouer, j’ai envié ce passé où je n’étais pas et me suis vue à ses côtés, silhouette frêle qui l’aurait accompagné, traquant le moindre des mots qu’il aurait prononcés, pour m’en délecter. Le cœur se retourne, parfois, comme un gant, et je me suis alors souvenu que, lorsqu’il était sorti de ma vie, il m’arrivait d’avoir du mal à m’en persuader. Et chaque retour à la raison était comme une gifle qui me réveillait, douloureuse. Et nous nous sommes retrouvés. Mais pour combien de temps ?

Le cœur, parfois, est un lieu de transit où passent des visages. Son visage à lui, comme un rêve, je me le suis accaparé, pour toujours, avec les étoiles qui scintillent dans ses yeux. A-t-on le droit de rêver, de simplement rêver à des lendemains où l’on ne sera peut-être pas ? On passe, par-ci, par-là, les itinéraires se croisent puis s’éloignent. Bientôt, il partira peut-être vers d’autres trottoirs mouillés, seul, dans une autre ville où pourraient s’engendrer de nouvelles envies de romans, des désirs d’histoires folles à inventer. Mais où je ne serai plus. Alors je me dirai qu’il aura été un passant qui sera passé, qui se sera attardé un moment dans l’aérogare de mon cœur. Qu’il aura été un sublime présent, une aurore boréale, une douceur impromptue dont je me souviendrai jusqu’à mon dernier souffle.

Ce matin, j’ai ouvert les yeux sur une lumière qui m’a éclairée jusqu’aux os. Celle d’un soleil de fin d’été, qui rasait l’horizon, belle et inattendue comme un retour de vague. La journée a commencé comme cela, dans une gaieté inexplicable autrement que par cette lumière qui envahissait la chambre.

Je me suis levée, je suis allée à la fenêtre. Une péniche passait, languide, elle avançait sur l’eau dans un silence apaisant. Et moi je la regardais glisser en me demandant où l’emmenait son voyage. En me demandant vers quelles ténèbres m’emporterait le temps aujourd’hui.

Extrait de "Lignes de fuite", un de mes romans non publiés

jeudi 7 mai 2009

Ecrire

Les cafés… L’hiver, il y passe le plus clair de son temps. C’est une façon de parler. Il serait plus exact de dire le plus obscur de son temps, tant il fait sombre dans ces lieux où il écrit en observant les clients qui discutent. Ou qui se taisent. Certains passent des heures, seuls et silencieux devant des bières pression, les yeux dans le vague, perdus dans on ne sait quels souvenirs.

Adrien est seul, lui aussi. Mais c’est différent. Il écrit. Il ne perd pas son temps. Il perd juste sa vie, goutte à goutte, comme tout le monde. Il abandonne aussi quelques litres d’encre, rien que cela. Mais il ne perd pas son temps, la plupart du temps, dans l’inutilité et l’absurdité d’un emploi. Certaines personnes se sentent importantes et ne sont pourtant pas plus indispensables à la vie et au monde qu’un moineau ou un arbre. Elles sont dans l’adoration de l’argent, elles se plongent dans le sérieux d’une carrière, d’un travail et s’enorgueillissent du devoir accompli, c’est-à-dire de rien. Car le sérieux n’est qu’un écran de fumée inventé pour masquer l’éphémère de la vie. Ce sérieux, qui ne sert à rien d’autre qu’à les occuper, à les distraire, occulte en elles l’indispensable : la joie simple d’être et d’aimer.

Écrire, cela n’est pas plus important ni plus sérieux qu’autre chose, c’est juste jeter quelques giclées d’âme dans les fibres du papier. Les enfants, avec des pinceaux et des couleurs, font cela très bien. Les écrivains n’ont que le jus noir qui coule de leur stylo.

Adrien espère qu’un jour, à force de remplir de cette sombre sève ses carnets, quelque chose se produira. Quelque chose qui pourra s’apparenter à la grâce. A un éblouissement, à une lumière qu’il parviendra à capter et à décrire avec un minimum de mots, pour soulever les cœurs. Une déchirure dans le voile sombre du monde. Quelque chose comme cela. Il croit encore que c’est possible.

Seuls deux ou trois écrivains peuvent être touchés par la grâce dans un même siècle. Et dans ce siècle-ci, il y a déjà deux ou trois élus. Savoir cela ne l’empêche pas d’écrire. Bien sûr, il n’attend pas le miracle. Une étincelle lui suffirait. Une phrase comme un feu follet qu’il parviendrait à enfermer dans un livre, il s’en contenterait. L’embrasement d’une seule page le rendrait heureux. Un mot comme la brûlure d’une cigarette sur le papier, simplement.


Extrait de "Rue des poètes", un de mes romans non publiés

Nomade

Depuis quelque temps, vous le saviez. Depuis longtemps, même, vous le saviez. Il fallait bien que cela arrive. Il n’y a pas de fatalité dans ces mots. Juste de la lucidité. Une décision que vous avez prise, la délivrance. Vous êtes là, debout sur le chemin de halage, les bras croisés sur la poitrine. Lentement, votre regard glisse sur l’eau sombre du canal. Vous plissez un peu les yeux. Vous ne pleurez pas, vous ne souriez pas non plus. Vous ne savez plus sourire. C’est le soleil d’automne qui rougit vos paupières fripées. Depuis quelque temps, donc, vous le pressentiez. Maintenant, vous avez acquis cette certitude, qu’il n’y en a plus que pour quelques minutes, que c’est votre dernier voyage. A quoi pensez-vous ?

Vous êtes là, près de l’eau, vous êtes âgée, déjà. Pourtant, vous êtes jeune, en regard de l’état civil. Vous n’avez que trente ans. Votre regard transparent, usé jusqu’à la transparence par les ternes paysages engouffrés au fil des années, les corps nus et flasques qui vous ont pénétrée, la grisaille des villes, effleure les berges. Vous vous attardez encore à ressentir, avec votre cœur, avec votre peau, les sensations accumulées, les souvenirs de toute votre courte vie. Votre lent et inutile parcours sur la terre, des promesses, des prières et des peines. Des espoirs naufragés, aussi, des douleurs. Des ravissements et des peurs. Des désillusions, surtout. Un visage aimé, perdu depuis longtemps. Le seul visage aimé. Et des rires, des baisers, des étreintes, la jeunesse envolée.

Votre corps. Il est rompu. La fatigue s’y est installée, définitivement. Votre esprit, il n’a plus de souffle, plus de rêves. A cet endroit précis, il n'y a pas d'écluse, pas de courant, pas de vent. Tout à l’heure, vous glisserez sans effort, happée par l’eau noire jusqu’au fond du sombre miroir. Votre dos se plie, vos jambes se dérobent, vos résidus de muscles souffrent. Votre sourire, oublié, est édenté. Votre corps est dévasté. A trente ans, vous avez déjà ce corps-là, ravagé par trop peu de vraie vie, par les coups, les abus d’alcool, les drogues, les nuits dans le froid à vendre votre corps à des désirs inconnus.

Votre âme désormais est nomade, libre, ivre de la folle liberté de n’avoir plus de comptes à rendre à personne, à aucun souteneur, à aucun flic, à aucun juge, à aucun de ces tyrans ordinaires qui peuplent les villes.

C’est votre dernier voyage. La Terre continuera sans vous son incessant voyage sur son orbite, avec sa croûte saturée d’humains qui fourmillent, qui errent, qui rêvent, qui crèvent.

Vous vous souvenez.

Vous ne savez plus grand chose de vous-même, de vos origines. Tout s’est emmêlé dans les méandres du temps. Vous remontez loin dans vos souvenirs. Vous vous figez sur un instant précis, un bonheur qui vous revient, lumineux. Vous vous souvenez juste de votre nom. Votre âge, vous le supposez. Vous êtes enfant. Vous jouez. Il fait soleil. Vos parents, bateliers, ont descendu quelques chaises de la péniche, ils boivent le café avec leurs amis. Vous n’écoutez pas les conversations des adultes. Vous entendez les voix, les rires, les intonations. Mais vous n’écoutez pas les mots. Vous jouez. Quelques brindilles, quelques cailloux, un peu de terre suffisent bien pour inventer des mondes et des histoires. Il y a un fil, sur la terre du chemin de halage. Votre main d’enfant le saisit. Le fil est long, entortillé. Vous le déroulez. C’est votre mémoire.

Elle se déroule, enfin. Vous vous asseyez et vous pleurez. Depuis longtemps vous n’aviez pas pleuré. Vous n’aviez plus de larmes.

Plus tard, tout à l’heure, quand vous serez dans la froideur de l’eau, vous vous souviendrez moins. Tout sera sombre et glacial. Il vous faudra faire effort, à l’ultime moment, ou inventer, mentir un peu, peut-être, pour faire du souvenir de votre vie une véritable histoire. Une histoire qui pourrait ressembler à la réalité, c’est-à-dire à vos rêves.

Une histoire vraie, en quelque sorte. La vie que vous auriez voulue et que le monde vous a volée.

mercredi 6 mai 2009

L’instant précieux du début

Au café, sur ma gauche, dans l’angle gauche de ma vision, un couple prend l’apéritif. Une femme, un homme. Ils pourraient aussi bien ne rien boire. La boisson qu’ils portent à leurs lèvres n’est qu’un prétexte pour se trouver face à face, ailleurs que dans la rue. Elle, jeune, très belle, élégante, élancée, vêtue d’une robe légère, courte, laissant voir de longues jambes déjà bronzées. Ses yeux sont très clairs, bleus je crois, elle sourit. Elle sourit comme on le fait en présence de quelqu’un qu’on connaît à peine et qui vous intimide un peu. Lui, moins jeune, moins beau, déjà atteint par l’usure que la vie plaque sur les visages, sourit du même sourire, le sourire de l’émerveillement étonné.

Plusieurs fois, par dessus la table, ils s’embrassent. Ils semblent le faire dans le secret. Je devine qu’ils forment un couple tout neuf, un balbutiement de couple. Un embrasement. Ils s’observent, se parlent peu, se caressent les mains. On dirait qu’ils se cachent un peu. Ils sont hors de la vie, à cet instant, ou plutôt ils sont au cœur de la vraie vie, celle qui palpite, mais ils sont loin de la vie d’ici, des habitudes, du bruit, des conversations, des conventions. La chaleur ne semble pas les accabler. Ils sont dans un désert où il n’y a qu’eux. Un désert de neige, un désert blanc sur lequel souffle un vent nouveau, une fraîcheur.

Je me demande, ont-ils déjà fait l’amour ? Vont-ils le faire, bientôt, tout à l’heure ? Je ne sais pas. Je ne saurai jamais. Mais je devine en eux un désir puissant, leurs corps, leur peau, transpirent ce désir, ils en suffoquent un peu, ils osent à peine se parler, de peur peut-être de briser le fil qui les relie.

A cet instant, je sens qu’il est dans le sursaut de la vie qui s’enfuit, je sens qu’il cherche à s’enfuir du temps qui s’applique à le buriner, à le marteler ride après ride.

Aujourd’hui, cet aujourd’hui avec elle est tout, est toute la vie compressée dans une journée, toute la vie qui s’enflamme en quelques heures. En quelques minutes peut-être. Demain ne sera rien. C’est aujourd’hui que tout se joue, c’est aujourd’hui, dans le regard aimant et désirant de la jeune femme, que toute la vie s’illumine. Il n’y aura pas de lendemain, pas de lendemain aussi beau, aussi pur. Je la lis sur leur visage, la précarité. Seul compte aujourd’hui. La fusion. La confusion des sens et des sentiments.

Je sais que là, maintenant, il l’aime plus que sa vie, puisque toute sa vie est là, enfermée et libérée dans l’instant précieux, non renouvelable.

L’instant précieux du début.

Extrait de "C'est ici le paradis", un de mes romans non publiés