Il y a des émotions, comme ça, comme des océans qui débordent, qui pourraient tout emporter. Des villes entières. Le cœur, au moins. D’autres fois, ce sont des pincements à l’âme, légers, qui font naître des frissons sur la peau, des larmes sur les paupières. Ce n’est rien. Presque rien. Ce n’est qu’un petit bouleversement, subtil, le geste d’une danseuse, sur la scène là-bas, sous le projecteur, au moment précis où Chopin a voulu son nocturne si émouvant. A ce moment-là. Juste là. Une petite aiguille dans le cœur, deux aiguilles peut-être, l’une qui passe par l’oreille, l’autre qui se faufile dans l’œil. Un mouvement, une grâce inouïe, deux ou trois notes et cela monte d’un coup, ça vient du ventre, on se sait pas, ça mouille les cils. On ne sait pas grand-chose de tout cela. On ne sait rien, sans doute. Personne. Pas les psys. Encore moins les psys, qui évoquent toute la chimie des hormones pour dire nos joies. On ne veut rien savoir. On sait simplement qu’une silhouette dans un creux de lumière a dansé pour vous, deux secondes, trois peut-être, une éternité éphémère, une joie pure. Rien que pour vous. Car vous vous dites que vous seul avez ressenti cela à cet instant, que c’est votre privilège. Des années de travail, de lutte contre le corps qui souffre, contre l’esprit qui voudrait renoncer, des années de douleurs, de larmes mêlées d’exaltation. Des rêves, des découragements, des désespoirs de jeune fille, des rires, des angoisses… Tout cela pour vous offrir, à ce moment précis, à vous qui n’êtes qu’un corps empoté, empêtré dans la glaise de votre âge, le beau de la vie, la perfection d’un geste, d’une posture disparue la seconde suivante. Pour vous offrir simplement cela, un instant de bonheur, la beauté d’un oiseau qui s’évapore dans un sourire.
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